vendredi 18 novembre 2011

Concert

Les Heures Musicales de Saint Roch
(directeur artistique Loïc Métrope)
18 Décembre 2011 à 16 heures
 programme
Noëls et  chœurs classiques de Verdi, Gounod, Puccini
interprétés par la Chorale « Tutti Canti »
direction Chantal Hasquenoph



Foliane
d’André David
interprété par Françoise Levéchin-Gangloff, organiste
André Lang, récitant



dimanche 6 novembre 2011

Jean-Jacques Werner ou l’art d’être en accord avec soi-même



Les œuvres de qualité que nous pouvons présenter
dans le domaine de l’art et de la littérature ne sont pas le produit
 d’un opportunisme vénal et d’une capacité à flairer avec justesse l’esprit du temps ;
 elles naissent au contraire de la force de caractère des artistes, de leur conscience de la nécessité,
 de leur volonté de se défendre et de lutter contre le nivellement culturel imposé par l’époque.
Hermann Hesse
« Salutations de Berne », L’Art de l’oisiveté


L’Almanach Évangélique-Luthérien d’Alsace et de Lorraine 2012 est un beau document de 168 pages, richement illustré. Le mot d’ordre 2012, en ces temps de crise, d’incertitude, nous invite à méditer afin de conserver ou de retrouver l’espérance, cette parole des Corinthiens : Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. N’est-ce point là aussi une sorte de credo pour l’artiste penché sur sa page blanche, un matin d’automne ?

Les pages 66 à 74 sont consacrées à notre ami Jean-Jacques Werner : noble portrait que dessine Alfred Langermann. En préambule, il se réjouit du retour au pays d’un de ses plus brillants fils. Je me souviens de la joie de Jean-Jacques à retrouver son village, sa famille, ses amis. Sa fierté non dissimulée à l’évocation des paysages enchanteurs de la riante vallée de Barr et des Vosges. Famille soudée autour d’une mère qui les nourrissait certes de bonne cuisine, mais aussi d’amour. Lucie ce qui signifie « La Lumière » donna à ses cinq enfants le sens et le besoin d’une vie intérieure… ce qui les conduisit tous à réussir harmonieusement leurs existences, chacun en son domaine. La musique danse dans sa tête tout enfant déjà. Jean-Jacques pense en musique et pour lui la vie a un rythme qui fusionne naturellement avec ce chant intérieur par la « faute » de cette « bonne oreille » parfois tyrannique ! Le chemin de l’école le trouve battant la mesure, à la tête d’un orchestre imaginaire, image si puissante qu’elle deviendra la réalité de toute une vie. Ainsi s’exprime la tendresse d’Annie, sorte de continuité spirituelle initiée par Lucie. Une lumière en son regard accompagne le chant de son violon. L’homme à ses côtés trouve la paix, une signification à son existence. L’épouse, l’aimée est aussi une partition qui murmure en sourdine les plus signifiantes mélodies, celles qui enchantent le cœur.

Alfred Langermann nous conte sa rencontre marquante avec Albert Schweitzer, en 1948, et plus tard, après ses trois Premiers Prix du Conservatoire de Strasbourg, la « montée à Paris », la Schola Cantorum, les professeurs vénérés : Daniel-Lesur et Pierre Wissmer avec lesquels il étudie la composition, l’orchestration. Il s’initie aussi à la direction d’orchestre avec Léon Barzin. J’ai toujours entendu Jean-Jacques parler d’eux avec respect et affection. Les années n’auront fait qu’accroître sa fidélité et son estime L’homme aspirait à la liberté en des temps de contrainte artistique où parfois, ainsi qu’en témoigne William Bolcom 2 les élèves étaient plus « marteaux », plus soumis que le « Maître » lui-même à la dictature du dogme sériel ! Ce sage fit le choix audacieux et périlleux d’une voix tracée en toute liberté où les seules contraintes sont dictées par la musique elle-même et l’inspiration… voies qu’avaient suivi avant lui, non sans troubles, Henri Sauguet, Georges Migot, Daniel-Lesur, Henri Tomasi et quelques autres.

Jean-Jacques Werner ne fut donc pas un conformiste, le serviteur des modes, un suiveur, un émule, un musicien formaté et conventionnel, mais un électron libre, un chercheur et un poète qui trouve au tréfonds de lui l’inspiration. Tout grand artiste se doit à son appel et non aux institutions des dogmes en vogue. En ces lieux naissent trop souvent les fausses œuvres d’art, partitions qui voudront masquer l’absence de vraies personnalités, absence d’avoir vraiment quelque chose à dire qui puisse enrichir le patrimoine artistique de l’humanité. L’authenticité est la marque de tous les grands artistes, ceux dont le temps finit toujours, même après de longs et injurieux purgatoires, par reconnaître la place dans la civilisation. C’est le cas de l’écrivain Hermann Hesse, s’élevant très tôt avec vigueur contre le nazisme, exilé et banni par l’intelligentsia allemande, ses livres furent brûlés. Aujourd’hui, reconnu pour un des grands esprits qui s’éleva sur des sommets dans la solitude, quand son pays sombrait dans la démence et l’horreur. L’Almanach 2012 lui rend hommage quelques pages après celles consacrées à Jean-Jacques Werner. Serait-ce un signe ?

Jean-Jacques Werner sera compositeur, chef d’orchestre, directeur de conservatoire à Fresnes, il dirigera les orchestres de la radio française, de l’ORTF, l’Orchestre National, l’Orchestre Léon Barzin et tant d’autres. Il se fera le défenseur de ses contemporains (Sauguet, Milhaud, Saguer, Wissmer, Daniel-Lesur, Jolivet, Ancelin, Calmel, Hindemith, Migot…), créant nombre de leurs œuvres et par bonheur aussi parfois les enregistrant. Ce qui frappe dans les illustrations de ce document : la grâce, lorsqu’en 1950 il s’exprime au Palais des fêtes de Strasbourg sur la harpe, un de ses instruments de prédilection avec le cor ; un sourire généreux qui ne le quitte guère sur cette photo de 1963 à Bruxelles ou à Davos en 1985 ; la précision lorsqu’il dirige l’Orchestre philharmonique de l’ORTF, avec en soliste Annie Jodry, dans le concerto en La majeur de Mozart, en 1973, l’orchestre du Festival Orchestra à Blue-Lake (Michigan, 1985), ou l’orchestre de Radio-France, salle Olivier Messiaen en 1994 ; la passion sur ce cliché de 1985 où il est en tournée avec l’International Youth Symphony Orchestra ; l’amitié et la fidélité en compagnie de Daniel-Lesur et Michel Vergnault, à Fresnes, en 1992.

Alfred Langermann nous explique aussi, ce qui relève de l’alcôve, du secret du musicien, ses sources d’inspiration : sa foi, la littérature, la vie, ces « tiroirs derrière lui ». Reste le saint des saints, cette inspiration, propre à chacun, inaltérable et spécifique don qui différencie chaque créateur, tout en le
reliant à cet absolu inexprimable. Dans cette œuvre foisonnante et multiple, ce qui retient l’attention c’est ce qui fait le plus défaut à notre société, cet esprit d’ouverture, de pont, de main tendue. La véritable religion est la manifestation du « relié ». Jean-Jacques Werner est l’artiste qui de la pluie au soleil relie en un arc-en-ciel les misères et les beautés de l’humanité, les hommes dans leur diversité, leurs peines, leurs aspirations et leurs actes de noblesse.

Jean Alain Joubert
4 novembre 2011

1 Hermann Hesse, « Salutations de Berne », un des textes réunis dans L’Art de l’oisiveté (Paris : Le Livre de Poche biblio,
2002), p. 129. Wil
2 Documentaire Darius Milhaud par William Bolcom, DVD 2 du coffret Darius Milhaud et sa musique, SteinVal, 2011.